Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement, le 7 avril 2025, de l’article liminaire du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2024.
L’année 2024 a marqué un nouvel affaissement des finances publiques. Le déficit public a continué de se creuser, s’établissant à 5,8 points de PIB (169,6 Md€) après 5,4 points de PIB en 2023, tandis que la dette publique, grimpant encore de 3 points, a atteint 113 points de PIB. Après une très mauvaise année 2023, la France ne s’est ainsi toujours pas engagée dans le rétablissement de ses finances publiques, alors qu’au niveau européen une procédure pour déficit excessif a été ouverte par le Conseil en juillet 2024.
En 2024, le rendement des prélèvements obligatoires a été très décevant au regard des prévisions. Leur croissance s’est limitée à +2,4 %, soit sensiblement moins que le PIB (+3,5 % en valeur), comme en 2023, marquant une forme de normalisation après les bonnes surprises temporaires de recettes observées les années antérieures. En parallèle, les dépenses ont conservé en 2024 une tendance soutenue (+3,9 %), malgré le repli des mesures exceptionnelles adoptées pendant les crises sanitaire et énergétique. Hors ces mesures, la dépense publique a connu sa plus forte hausse en volume des dix dernières années. La hausse des prestations sociales, tirée notamment par les revalorisations sur l’inflation passée, explique plus de 60 % de la progression de la dépense.
Le déficit public 2024 excède ainsi de 1,4 point de PIB la prévision de la loi de finances initiale (LFI), un écart particulièrement élevé en l’absence de crise. Pourtant, au-delà des incertitudes affectant toute prévision, cette nouvelle dégradation n’était pas inéluctable. Elle traduit avant tout les fragilités de la construction de la loi de finances et l’insuffisance des mécanismes de rappel.
Dans son avis sur le PLF 2024, le Haut Conseil avait alerté sur le caractère optimiste de la prévision de déficit et, s’il n’avait pas tout anticipé (notamment la surprise d’impôt sur les sociétés), il avait souligné que cette prévision conjuguait des hypothèses favorables. De fait, l’écart constaté relativement au PLF recouvre pour l’essentiel un rendement bien moindre qu’escompté des prélèvements obligatoires, qui aurait pour partie pu être évité avec d’autres hypothèses. Il provient en second lieu de dépenses plus élevées qu’attendu, notamment des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale. Les instruments de contrôle de la dépense se sont révélés exclusivement centrés sur l’État, ce dernier ayant de fait pu contenir sa dépense en 2024 sous l’objectif de la LFI. Le Haut Conseil avait relevé un risque de dérapage sur l’assurance-maladie et pointé à plusieurs reprises l’absence de mécanisme contraignant sur la dépense des collectivités locales.
La composante structurelle du déficit, supérieure à 5 points de PIB, en représente l’essentiel. Le déficit structurel se révèle ainsi supérieur d’environ 1,5 point à celui inscrit en loi de programmation des finances publiques (LPFP) du 18 décembre 2023, à laquelle le Haut Conseil est tenu de se référer malgré son caractère obsolète. En application de l’article 62-II de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 modifiée relative aux lois de finances, le Haut Conseil identifie donc un « écart important » entre les résultats de l’exécution et les orientations pluriannuelles de solde structurel.
Le Haut Conseil déclenche en conséquence le mécanisme de correction inscrit au III du même article. Il invite le Gouvernement, comme prévu par la loi organique, à présenter les mesures permettant de retourner aux orientations de la LPFP, ou à tout le moins à présenter une nouvelle loi de programmation conforme à la trajectoire du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) entérinée par le Conseil en janvier 2025. Réduire vigoureusement le déficit structurel est impératif : le niveau élevé de celui-ci retarde la nécessaire réduction du poids de la dette dans le PIB, dont le coût augmente à un rythme préoccupant, et obère la capacité de la France à faire face aux chocs économiques et aux investissements utiles, notamment en matière de défense et de transition écologique.
En application de l’article 62-V de la loi organique précitée, le Haut Conseil rend aussi, pour la première fois, un avis sur les écarts entre les prévisions macroéconomiques, de recettes et de dépenses des lois de finances et de financement de la sécurité sociale et leur réalisation. En outre, en application de l’article 4 de la loi n°2021-1577 du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l’information du Parlement sur les finances publiques, le Haut Conseil examine, également pour la première fois, si une distorsion importante a affecté les prévisions macroéconomiques sur une période d’au moins quatre années consécutives, au cas d’espèce les années 2021 à 2024.
Pour la prévision de finances publiques, le Haut Conseil relève que, si l’on écarte les années de crise, la prévision du ratio de dépenses en part de PIB, de même que celle du ratio de recettes en part de PIB, sont un peu inférieures à leur réalisation en moyenne sur vingt ans. Les prévisions de solde public du Gouvernement en projet de loi de finances se situent ainsi en moyenne, hors années de crise, à un niveau proche de leur réalisation (écart de 0,1 point de PIB). En incluant les années de crise, l’écart moyen entre prévision et réalisation du solde public est de 0,6 point de PIB. L’écart entre les objectifs de solde public de moyen terme, inscrits dans les lois de programmation, et leur réalisation est plus prononcé.
L’écart entre prévision et réalisation du solde public observé sur les deux dernières années (0,5 point de PIB en 2023 et 1,4 point de PIB en 2024) apparaît, en l’absence de crise majeure, particulièrement élevé. De plus, le Haut Conseil relève que les prévisions de dette publique en part de PIB ont été optimistes par rapport à leur réalisation.
À l’aune de ces différents constats, le Haut Conseil invite le Gouvernement et le législateur organique à considérer toute disposition complémentaire permettant d’assurer l’absence de biais dans l’établissement des prévisions. A minima, le Haut Conseil invite à renforcer son accès à l’information et à détendre les délais d’instruction qui lui sont fixés, ainsi qu’à étudier la mise en place effective d’un mécanisme de type « appliquer ou expliquer », par lequel le Gouvernement serait tenu, lorsque le Haut Conseil émet des réserves sur la prévision et dans un délai compatible avec les débats parlementaires, de rectifier celle-ci ou d’expliquer pourquoi il ne la modifie pas. Une extension de son mandat lui confiant aussi une mission plus large d’analyse de la soutenabilité de la dette et de surveillance du respect de l’objectif constitutionnel d’équilibre des comptes, contribuerait à renforcer la crédibilité du cadre de finances publiques.